C’est dans
l’ambiance particulière de cette fin août que je souhaite revenir avec toi
sur une page d’histoire locale qui vient de se tourner.
A
Villeurbanne, comme dans beaucoup de villes métropolitaines, souffle un vent de
réforme et de changement quant aux moyens de transports. La pollution qui leur est attribuée , le changement climatique font que de nombreux urbains
choisissent de se déplacer différemment, à vélo ou en « mode électrique ».
Faut-il y voir une relation de cause à effet ? Y trouver une raison
valable ? Toujours est-il que ce que je veux te raconter semble s’inscrire
dans l’air du temps. Malheureusement ? Ou pas. Je te laisse juge.
Les origines
de cette histoire remontent à longtemps, dans l’immédiat après-guerre.
Imagine.
Ambiance
grisâtre, quelques voitures bringuebalantes, beaucoup de vélos et encore pas
mal d’attelages hippomobiles arpentent les rues. Les gens, soulagés du joug de
l’occupation, reprennent peu à peu des couleurs.
Au 7 de la
rue Flachet à Villeurbanne, un magasin de cycles prend vie après la Libération.
Juste en face des immeubles Gillet, cet établissement sur lequel je ne suis pas
parvenu à retrouver de détails a été créé au sortir de la Guerre, à la construction
du bâtiment qui l’héberge. Les cycles,
cyclomoteurs et motos de petites cylindrées représentent la plus grosse part du
développement du marché des véhicules. En effet, les emplois ne manquent pas,
la reconstruction a commencé, et il faut permettre à tous de pouvoir aller
travailler. Les voitures étant alors trop chères (la production redémarre, mais
accompagnée de coûts prohibitifs) c’est vers les deux-roues plus abordables que
se tournent les Français. Villeurbanne étant une cité industrielle, il y a une
forte demande.
C’est dans ce contexte que démarre l’activité de notre petit commerce.
C’est dans ce contexte que démarre l’activité de notre petit commerce.
Cela nous
amène jusqu’en 1962. C’est un grand écart, je te l’accorde, mais je ne trouve
pas de traces exploitables de l’établissement jusque-là.
Que se
passe-t-il en 1962 ? C’est le changement de propriétaire. La famille Peronnet
et fils reprend le magasin de cycles et lui donne une impulsion qui le
fera perdurer près de quarante ans !
Concessionnaire
Motobécane, c’est le stock le plus important de l’agglomération, des motos et
des cyclos s’entassent sur le trottoir devant la vitrine. Celle-ci est
d’ailleurs très achalandée, Les couleurs des marques distribuées (Motobécane,
Motoconfort, Mobylette, puis Yamaha, BPS, Morini et Minarelli ) se disputent la
vedette avec tous les accessoires et la pompe à mélange type
« Solexine » qu’on sort tous les matins. On y traite également de
bicyclettes en tout genre, les utilitaires en bonne place, les
« course » et « mi-course » plus polyvalents sont suivis de
plus en plus par des vélos de loisirs.
Pour la moto il en va de même, les
« popus » des années cinquante font peu à peu place à des machines
plus cossues, plus performantes.
A partir de 1982 les établissements Peronnet
se font même une spécialité dans le tout terrain et le trial en proposant à
leur clientèle de rouler et d’essayer les motos le week-end sur un terrain
privé non loin de Villeurbanne.
L’atelier
n’est pas en reste, répare et entretien non seulement les motos vendues sur
place mais bien entendu le tout-venant multi-marque du secteur.
Le magasin Peronnet
est donc une institution dans le paysage moto Villeurbannais et Lyonnais.
Ah !
Mais tu te demandes où je peux bien t’entrainer…
Et bien
voilà.
Je te
présente Philippe M.
Il apparaît
dans cette histoire à un tournant crucial (En moto on dit un virage serré dont
on ne distingue pas la sortie. Le célèbre Triple Gauche du circuit de Lédenon en
est un bon exemple) Bernard, le fils de la famille Peronnet arrivait au terme
d’une carrière bien remplie en même
temps que s’achevait le siècle dernier.
De son côté
Philippe M, après avoir commencé à bâtir une vie professionnelle dans la
boucherie charcuterie, s’apercevait que ce métier tant aimé ne l’aimait pas.
Porter des carcasses plus lourdes que soi tous les jours n’arrange pas la santé
ni les articulations. Fort (!) de ce constat, Philippe choisit une autre
voie : la mécanique moto !
Etonnant ?
Non ! A cette époque cela fait longtemps que Philippe vit et respire moto.
Ce natif d’Antibes se déplace en deux-roues depuis toujours. Les Instances -Médecine du Travail en tête- lui permettent
(lui intiment !) de se réorienter: Il se retrouve en formation près de
Lyon, et vise le CAP Mécanique Moto. Aujourd’hui : Maintenance des
Véhicules option C Motocycles.
Durant cette période il doit réaliser un
stage pratique pour valider son cursus. Venant du Sud de la France, c’est par
hasard qu’il découvre les établissements Péronnet. Bernard lui met le pied à
l’étrier et lui inculque une certaine idée du travail : la rigueur doit
s’accompagner du sens du service et d’une certaine bienveillance.
Chez Peronnet
on sait accorder de la valeur au client autant qu’à sa moto ou son vélo. Et
s’il faut prendre un quart d’heure pour régler le dérailleur ou gonfler les
pneus d’un cycliste de passage, on le fait, et avec le sourire.
Cet état
d’esprit correspond à l’idée que se fait Philippe du travail et du service. Les
deux hommes apprennent à se connaitre à travers l'organisme de formation ("Laennec" devenu L'ADAPT) où Philippe réalise son diplôme. En effet, Bernard avait momentanément cédé sa boutique pour exercer en tant que formateur. Le repreneur ayant décidé de ne pas poursuivre,
c’est naturellement Philippe qui a repris l’activité.
L’enseigne
AJP Motos et Scooters était née.
La devanture, en juin 2020 |
Le
personnage mérite le détour !
Travailleur
acharné, habitant dans l’appartement au-dessus comme les Peronnet autrefois, c’est
seul et avec son CAP tout frais en poche que Philippe se lance au début de ce
siècle.
Il lui en a
fallu du courage ! Car quand tout
va bien il est simple d’avancer et de faire du commerce. Mais se retrouver seul
en but à un problème technique ou avoir besoin d’une « troisième
main » ou encore échanger pour résoudre une situation mécanique épineuse
n’est définitivement pas simple.
Philippe a de
plus gagné des galons de « bon voisinage ». Affable et ouvert, il
s’est lié d’amitié avec bon nombre d’habitants du quartier. Il n’était pas rare
de voir le panneau « de retour dans cinq minutes » indiquant qu’il
était en essai routier, utilisé pour dépanner les voisins : monter les
courses, débloquer une porte ou évoquer la gestion de la copropriété.
De fil en
aiguille, calé sur la conjoncture Philippe a su mener sa barque pour évoluer.
Toujours passionné de motos, ce sont les scooters qui ont pu lui permettre de
traverser les années compliquées, ainsi que les cycles de tous poils. Une
clientèle de fidèles habitués émaillée de l’arrivée régulière de nouveaux
clients à pu observer ses capacités d’adaptation et l’astuce avec laquelle il
se joue des contraintes techniques. Il a fabriqué de nombreux outils pour
parvenir à résoudre tous type de casse-têtes, et élaboré beaucoup de procédures
pour simplifier de nombreuses tâches. Détail croustillant : il a bénéficié
du stock d’outillage de ses prédécesseurs et grâce à cela a pu répondre à des
demandes parmi les plus improbables… (refaire un moteur de moto du début des
années cinquante nécessite parfois des outils oubliés)
Étonnamment, Philippe
peut mettre en avant une pédagogie certaine, ce qui n’est pas l’apanage du
mécano en général, et rendre limpide une explication technique impliquant une
facturation salée. Jamais de hauts cris ! Toujours un accompagnement teinté d’une bienveillance
inattendue. Et puis s’il faut prendre un quart d’heure pour régler le vélo d’un
cycliste de passage, on le prend, et avec le sourire !
Philippe, aux manettes ! |
C’est comme
ça que j’ai fait sa connaissance. Non pas à vélo, mais un jour où j’ai eu
besoin d’un coup de main pour une sombre histoire de fuite d’huile sur un tube
de fourche. A l’époque je n’avais pas les connaissances et l’outillage idoine.
Il avait alors pris le temps de m’expliquer quoi faire, ce qui m’avait conduit
à démonter mes tubes pour les lui apporter. Lui ayant permis de gagner du temps
car je n’étais pas sur son planning, il avait alors reconditionné ma fourche en
deux temps trois mouvements. Nous étions restés depuis lors en contact
régulier. Je suis ensuite devenu son voisin.
J’aime
particulièrement voir passer dans la rue Philippe au guidon de motos et
scooters qu’il vient de « terminer », pour valider par un essai ses
interventions. Concentré, l’œil sur la route et l’oreille sur la mécanique,
Philippe gratifie les passants du quartier d’un signe de la main accompagné
d’un grand sourire. En le voyant passer Le « tout » s’inscrit dans la
normalité : la coiffeuse, le carrossier automobile, le bureau d’études, la
sandwicherie kébab… Les saisons. Le bonjour des gens du quartier. Quartier réduit à une vie
de village en définitive, l’anonymat citadin disparaissant pour peu que l’on
s’intéresse à son prochain. La vie quoi !
C’est en
passant, l’hiver dernier, pour une visite de courtoisie qui s’éternisait autour
de notre passion commune (comme d’habitude !) que Philippe m’a appris qu’il
avait finalement cédé aux sirènes d’un promoteur immobilier. Le quartier se
développe, la demande de logement aussi. Villeurbanne prétend accueillir près
de trois mille habitant de plus par an. Combien parmi eux roulent à moto ?
Pas beaucoup certainement.
A force de
visites, d’offres, les Princes du Mètre Carré sont parvenus à leurs fins. Je te
parie que ceux-là, s’il faut prendre un quart d’heure pour régler ou gonfler
les pneus du vélo de la p’tite mamie d’à côté, ils ne le feront pas.
La vie du
quartier va en souffrir c’est sûr, il y aura un peu moins d’animation. Mais les
nouveaux arrivants qui n’ont pas connu « avant » n’en sauront rien.
Les anciens constateront et, d’un haussement d’épaules demanderont à voir la
suite. Reste que pour bénéficier d’un service de proximité il faudra se tourner
probablement vers Internet, qui nous indiquera quoi faire…
Tu noteras
que la fermeture d’« AJP Motos et Scooters » clos une période de soixante-dix
ans sans changement d’activité dans un même local… C’est un record pour
Villeurbanne, et cela passe totalement inaperçu. Dommage ! Il est probable
qu’il faille mettre cela sur le dos de l’air du temps dont je te parlais tout à
l’heure, la moto n’ayant étonnamment pas bonne presse à une époque ou pourtant
le deux-roues motorisé (et non motorisé d’ailleurs) permet de fluidifier la
circulation.
De leur
côté, Philippe et son épouse ont choisi de quitter la ville pour la campagne
loin, très loin, pour s’établir dans une ferme. Dingue ! Permaculture,
apiculture et vie au contact de la Nature font partie de leurs nouveaux projets.
Associe-toi
avec moi pour leur souhaiter le meilleur. Aller de l’avant est assurément la
meilleure manière d’apprécier le passé. Sans regrets.
Merci pour
tout, Bon Vent !
Ps > une
bécane détaillée chez AJP, en 2013 > https://legalipometre.blogspot.com/2013/03/la-patrouille.html
Joée, chargée d'accueil et système d'alarme sur pattes ! |
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Le maitre des lieux, en pleine réflexion |
C'est vrai ! ;-) :-) |
Il ne faut pas finir avant d'avoir commencé ! |
Panoramique sur l'atelier. Modeste, il est configuré comme tel depuis 70 ans ! |
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Voilà une main qui a su exprimer le talent d'un entrepreneur individuel ! (et c'est pas fini !) |